Séminaire « Histoire et épistémologie de la psychopathologie »
Présentation générale du séminaire organisé par Marco Dal Pozzolo (Dr, Université Bourgogne-Europe, LIR3S) et Franck Le Roux (Dr, Université Paris Cité, CRPMS)
1ère séance : Lundi 28 avril 2025, de 17h30 à 19h30.
Bâtiment Jaurès (29 rue d’Ulm), Salle Ferdinand Berthier (2ème étage).
Claude-Olivier Doron (Université Paris Cité, SPHÈRE) : La santé mentale : généalogie et perspectives critiques autour d’un signifiant flottant
Argument : Le concept de « santé mentale » connaît actuellement un succès et une diffusion particulièrement importants, avec diverses campagnes visant à la « levée des tabous » sur les troubles mentaux, d’innombrables rapports et plans pour l’amélioration de la santé mentale de telle ou telle population, et le développement d’un marché florissant d’acteurs privés censés vous aider à prendre soin de votre santé mentale. Cette diffusion va de pair avec une série d’ambivalences autour d’un concept dont la signification, les frontières et la valeur semblent extrêmement floues. Pour certains, la santé mentale est un levier pour porter des revendications et des transformations, en matière d’organisation du travail, de lutte contre les discriminations ou la précarité; elle décrit surtout un mode d’organisation positif des dispositifs de prise en charge des usagers atteints de troubles mentaux, qui doit être promu pour réformer les dispositifs actuels. Pour d’autres, elle est intimement liée au néolibéralisme, au culte de la performance, à la valorisation de l’autonomie et de l’individualisme, et remet en cause les spécificités des maladies mentales. L’objectif de cette intervention sera double. D’une part, on reviendra sur la vogue actuelle de la « santé mentale » pour s’interroger sur les fonctions diverses que joue ce concept dans les politiques publiques et sur ses ambivalences. D’autre part – et surtout – nous reviendrons sur l’histoire de son émergence dans les années 1940-1960. Nous tenterons notamment de montrer que la « santé mentale » y renvoie d’emblée à une psychopolitique, dont l’une des principales caractéristiques fut de convertir des contradictions et des conflits sociaux en conflits intrapsychiques, devant être traités au niveau du sujet individuel ou en intervenant sur les relations humaines intersubjectives. Ce concept était initialement lié à une conception psychodynamique du sujet et s’insérait dans le cadre politico-économique promu par les grandes organisations internationales dans le contexte de la Guerre Froide et des politiques de développement. Qu’il ait été ensuite approprié, à partir des années 1970, par des approches inspirées des thérapies comportementales et cognitives et mobilisé dans une approche néo-libérale, ne change pas grand-chose à ce fond. Le « santé mentalisme », autrement dit, ne nous semble pas être la « trahison » d’un bel idéal.
Présentation : Claude-Olivier Doron est historien et philosophe des sciences, maître de conférences à l’université Paris-Cité. Il a longtemps travaillé sur l’histoire et l’actualité de la psychiatrie et des rapports entre psychiatrie et justice, notamment sur les notions de dégénérescence, d’anormaux, de perversion, de dangerosité, et sur la prise en charge des auteurs de violences sexuelles. Il a aussi travaillé pour Médecins du Monde pour développer un dispositif de réduction des incarcérations pour des personnes souffrant de troubles mentaux sévères et en grande précarité. Il est éditeur de plusieurs cours de Michel Foucault. Il travaille désormais sur une histoire épistémologique et politique de longue durée du concept de race, ainsi que sur les rapports entre race, génomique et identités aujourd’hui.