Centre d’Archives en Philosophie, Histoire et Édition des Sciences
2011

Colloque Dortous de Mairan, physicien philosophe

 

Colloque Dortous de Mairan « physicien philosophe » (1678-1771) organisé par Olivier Bruneau et Irène Passeron

 

Jeudi 10 mars 2011 à l’Observatoire de Paris, Bâtiment Perrault, salle du conseil 10h-18h.
Inscription gratuite à marie-laure.massot@ens.fr
 
 
La première journée organisée à l’Observatoire le 30 novembre 2010 était consacrée à Dortous de Mairan, homme de transition entre 17e et 18e siècle et passeur de savoirs plus ou moins consensuels entre différentes sphères. Un premier inventaire de sa correspondance a été proposé ainsi qu’une première description matérielle de sa bibliothèque, montrant l’attachement de Mairan à une érudition traditionnelle, comme son implication dans les réseaux savants.

Scientifique incontournable de la première moitié du 18e siècle, membre des académies des sciences et française, Mairan n’est pas passé à la postérité, pour des raisons qu’il importe maintenant d’examiner dans cette deuxième journée sur ses travaux de « physicien », dans toute la mobilité de la signification de ce terme. Considéré par ses contemporains comme un « des derniers sectateurs de Descartes » (Grimm, 1771), tout en se dévoilant lecteur assidu et admiratif des œuvres de Newton et adversaire de Leibniz, comment intervient-il vraiment dans la reconfiguration des tensions conceptuelles et des pratiques mathématiques ? La qualification d’hybride de cartésien et de newtonien (« cartonian » dit par McNiven-Hine), est à affiner pour comprendre l’évolution du physico-mathématique au tournant des deux siècles en examinant plus attentivement ses mémoires académiques, ses travaux sur les aurores boréales, la glace, l’optique, le jaugeage, les forces. L’influence de ses travaux et leur position par rapport aux débats philosophiques de l’époque, et dans l’Encyclopédie, tant par rapport au newtonianisme que par rapport à l’esprit de système sera l’objet dans cette journée d’une lecture croisée entre différents spécialistes, scientifiques, historiens et philosophes.

Pour plus de détails, voir les résumés ci-joints.
 
Programme du colloque «Dortous de Mairan, physicien philosophe » du jeudi 10 mars 2011 à l’Observatoire de Paris, salle du conseil
 
10h-10h15 : Introduction de la journée par Irène Passeron et Olivier Bruneau
 
10h15-11h : Danielle Fauque (Paris), « Jean-Jacques Dortous de Mairan, un patron pour le jeune Pierre Bouguer (1721-1735) »
 
11h15-12h : Anne-lise Rey (Lille), « Lecture de la philosophie naturelle de De Mairan dans sa Dissertation sur l’estimation et la mesure des forces motrices des corps »
 
12h -12h45 : Christophe Schmitt (Lyon), « Les dynamiques de Jean-Jacques Dortous de Mairan »
 
Repas
 
14h30-15h15 : François Baskevitch (Lille), « Dortous de Mairan et la propagation du son »
 
15h15-16h : Stéphane Le Gars (Nantes), « Dortous de Mairan et la théorie des aurores polaires : trajectoire et circulation d’une idée, de 1733 à 1933 »
 
16h15-17h : Colette Lelay (Nantes) et Frédérique Rémy (Toulouse), « La dissertation sur la glace »
 
17h-17h45 : Hugues Chabot (Lyon), « La réception de la « Disseration sur la glace » dans le texte encyclopédique »
 
17h45-18h : conclusion
 
 
Résumés des communications
 
 
Danielle Fauque (GHDSO, bât. 407, université Paris-Sud 11, 91405 Orsay)
“Jean-Jacques Dortous de Mairan, un patron pour le jeune Pierre Bouguer (1721-1735)”
 
Durant la période 1721-1735, la notoriété du jeune Bouguer se construit sous la protection de Dortous de Mairan, son aîné de vingt ans. Leur collaboration commence en 1721, lorsqu’à 23 ans Bouguer est chargé de l’essai des méthodes de jaugeage de Varignon et de Mairan. La relation entre Mairan et Bouguer explique aussi le choix des sujets de prix pour les progrès de la marine en fonction des sujets de prédilection de Bouguer.
Après réception d’un écrit de Bouguer sur la mâture des vaisseaux en 1724, Mairan met ce thème au concours du prix de 1727. De même en optique, sur la gradation de la lumière, lorsque Mairan sollicite des recherches sur la comparaison de la lumière du Soleil et de la Lune. Ces expériences déboucheront sur l’Essay sur la gradation de la lumière (1729) faisant de Bouguer le père de la photométrie moderne, et dont les origines plongent dans les deux mémoires de Mairan de 1719 et 1721. Le sujet du prix sur la hauteur des astres (1729) comporte aussi une question sur la réfraction atmosphérique, question également abordée entre Mairan et Bouguer. Le troisième volet, sur l’aiguille aimantée, pour 1731, touche aussi Bouguer, directement dans son métier de professeur d’hydrographie. Bouguer communique régulièrement des nouvelles, dont l’annonce d’une tortue pêchée dans le port du Croisic en 1729, ou l’observation sur l’aurore boréale au Croisic en 1726. Mairan publiera un long traité sur le sujet en 1733.
Enfin, sur la question délicate de la force des corps en mouvement, le jeune Bouguer entre en lice en 1728 en lisant un mémoire devant les académiciens, sur la mesure des forces des corps en mouvement ; Mairan participe au débat en lisant à son tour deux mois plus tard un mémoire sur le sujet. Les Entretiens publiés par Bouguer pour le prix de 1732 doivent certainement aussi beaucoup aux probables conversations entre les deux savants à la fin des années 1720, lorsque la discussion entre cartésiens et newtoniens devient très vive à l’Académie. De Mairan proche de Malebranche, Bouguer aussi garde les traces de l’influence des écrits de Malebranche, dont Mairan s’inspire.
La relation d’allégeance est assez forte, entre l’homme fort de l’Académie de vingt ans son aîné et le candidat Bouguer. La dernière phrase des Entretiens laisse en suspens cette question, lorsque le candidat Bouguer pose tout de même la nécessaire considération du newtonianisme.
En 1744, lorsque Bouguer rentre de l’équateur, il est newtonien, et semble s’éloigner un peu de Mairan. Il publie une édition augmentée des Entretiens dans lesquelles il condamne cette fois le cartésianisme. En quelque sorte, Bouguer tue-t-il son père spirituel ? La question reste ouverte.
Il s’agit ici de tenter une synthèse de cette relation sur la période 1721-1735, en s’appuyant sur les études faites sur les différents aspects rapportés dans ce résumé.
Bibliographie de Danielle Fauque concernant cette relation entre les deux savants
2010. Pierre Bouguer et « l’affaire du jaugeage », RHS, 63/1, janvier-juin 2010, 23-66.
2001. Du bon usage de l’éloge : cas de celui de Pierre Bouguer, RHS, 54/3, 351-382.
1992. Tourbillons ou attractions : Les physiciens du XVIIIe siècle entre un monde plein et un monde vide, in P. Colin (dir.), De la Nature : de la physique classique au souci écologique, Institut catholique de Paris, coll. Philosophie, 14, 1992, 205-235.
 
Anne-Lise Rey (Université de Lille)
« Lecture de la philosophie naturelle de De Mairan dans sa Dissertation sur l’estimation et la mesure des forces motrices des corps »
 
L’objet de cette intervention est d’étudier la fonction du positionnement hostile à l’égard du principe leibnizien de conservation des forces vives dans la constitution d’une philosophie naturelle hybride au début du 18°s. Si le cartésianisme de De Mairan le rend enclin à défendre le principe de la conservation de la même quantité de mouvement, l’importance que prend progressivement en France dans cette première moitié du 18°s la pensée de Newton conduit  évidemment De Mairan à interroger les fondements métaphysiques de la physique cartésienne. Dans ce « cartonian » contexte, on voudrait analyser la manière dont la pensée de Leibniz constitue tout à la fois une position théorique spécifique qui vient troubler, en France, l’opposition entre Cartésiens et Newtoniens, et, partant, complexifier le débat. Mais nous aimerions aussi montrer que par-delà les oppositions tranchées, De Mairan contribue à forger, avec d’autres, une philosophie naturelle à la fois complexe et inventive.
 
Christophe Schmit (Université de Lyon 1)
« Les dynamiques de Jean-Jacques Dortous de Mairan »
 
« Les études d’Ellen McNiven Hine, en montrant l’influence qu’exercent les théories de Newton sur Dortous de Mairan, tendent à tempérer l’image donnée par des travaux antérieurs ne faisant de cet auteur qu’un fidèle disciple de Descartes : elle qualifie alors l’académicien de « cartonian ». Par ailleurs, la bibliothèque de Mairan s’avère riche d’ouvrages aux inspirations scientifiques diverses laissant supposer une curiosité, voire une pratique, débordant le cadre d’une doxa cartésienne. Cet exposé vise à établir les principes et concepts de la mécanique chez Dortous de Mairan pour mieux saisir ces multiples influences traversant son œuvre. Seront alors analysés les écrits développant des systèmes explicatifs du ressort de la philosophie mécanique en tant qu’ils informent sur les fondements de la dynamique (explications de la pesanteur, de la formation de la glace, de la lumière etc..), ainsi que ceux abordant des sujets plus proprement mécaniques (mesure des forces, statique etc.) »
 
François Baskevitch (Ingénieur en électro-acoustique et théorie du signal Télécoms Lille, docteur en histoire des sciences, Université de Nantes).
« Dortous de Mairan et la propagation du son »
 
Dortous de Mairan, reçu depuis deux ans à l’Académie Royale des Sciences de Paris, présente une communication non publiée dont Fontenelle fait état dans l’Histoire pour l’année 1720. L’auteur s’inspire de la théorie de Newton sur les couleurs pour proposer une analogie dans le domaine sonore.
On sait alors, depuis environ une centaine d’année, que le son se propage en prenant du temps (Bacon, Mersenne) et que la hauteur du son est liée au nombre de vibrations du corps sonore (Mersenne, Galilée). Pourtant la propagation reste mystérieuse car le phénomène est fugitif et peu observable. Les modèles proposés rencontrent tous des incompatibilités avec les propriétés connues de la propagation dont les principales sont : la nécessité d’un milieu, la propagation circulaire, la superposition avec conservation de la hauteur et du timbre, la vitesse constante et non corrélée à la hauteur. La notion de propagation des ondes a bien été décrite par Newton (Principia) comme la propagation d’une variation de pression, mais peu l’ont comprise, tant cette approche est abstraite et l’explication de Newton confuse. 
Dortous de Mairan propose un modèle mécaniste, inspiré du corpuscularisme de Newton et, dans sa présentation, des modèles de Descartes qui, lui, n’évoque quasiment jamais le son. Dans un mémoire de 1737, Dortous de Mairan décrit la propagation du son en supposant que « l’air, en tant que véhicule du son, est un assemblage d’une infinité de particules de différente élasticité, dont les vibrations sont analogues par leurs durées à celles des différents tons du corps sonore ». Cette théorie plait bien au célèbre musicien Jean-Philippe Rameau parce qu’elle fournit une caution scientifique à celles qu’il développe sur les harmoniques.
Nous tenterons de replacer ce mémoire dans le contexte scientifique des années 1720-1740. En effet, les spéculations de Dortous de Mairan semblent obsolètes au regard des travaux publiés à la même époque par Jacob s’Gravesande, Jean II Bernoulli et son frère Daniel, et bien sûr Leonhardt Euler qui, eux, ont compris la théorie newtonienne.
 
Stéphane Le Gars (Université de Nantes)
“Dortous de Mairan et la théorie des aurores polaires : trajectoire et circulation d’une idée, de 1733 à 1933”
 
C’est en 1733 que Jean-Jacques Dortous de Mairan publie son Traité physique et historique de l’aurore boréale. Largement étoffé dans une seconde version parue en 1754, passant de quelque trois cent pages à plus de six cent par des « Eclaircissements » ajoutés à la fin de l’ouvrage, le Traité de Dortous de Mairan est tout à la fois en continuité et en rupture avec les idées de son époque : continuité par le style littéraire imposé par Halley et Maraldi, mais rupture car il est le premier à proposer une théorie cosmique du phénomène, c’est-à-dire une théorie attribuant au soleil et à son atmosphère l’origine de l’aurore boréale. De même, sa théorie cultive l’ambigüité entre cartésianisme et newtonianisme, faisant notamment appel aux forces centrales dans l’explication du phénomène.
Notre communication vise à étudier la circulation de cette théorie pendant deux siècles, c’est-à-dire de 1733 aux premières décennies du XXe siècle, en saisissant la façon dont une théorie spéculative se transforme en fonction des connaissances, tant théoriques que pratiques, qu’elle rencontre. Nous étudierons particulièrement les comptes rendus du voyage de la corvette La Recherche entre 1838 et 1840, en Scandinavie, Laponie, aux Spitzberg et aux Feröe, expédition au cours de laquelle le physicien Auguste Bravais va, à la suite d’observations faites par Arago ou Biot, discuter la relation entre les aurores et le magnétisme terrestre. Nous poursuivrons par l’étude des résultats de la deuxième année polaire internationale (1932-1933) en portant l’accent sur les travaux d’Alexandre Dauvillier, de façon à examiner comment la théorie de Dortous de Mairan est intégrée à la physique cosmique de Dauvillier, et en regardant de quelle façon la survivance de cette théorie au début du XXe siècle peut avoir un lien avec le renouveau cartésien qui marque la physique et l’astronomie française à la fin du XIXe.
 
Colette Le Lay (Centre François Viète, université de Nantes) et Frédérique Rémy (directrice de recherche CNRS, LEGOS Toulouse)
La Dissertation sur la glace
 
C’est en 1716, à l’aube de sa brillante carrière, que Dortous de Mairan compose cette dissertation pour le prix de l’Académie royale des Belles-Lettres, Sciences et Arts de Bordeaux. Trente-deux ans plus tard, devenu un savant éminent, membre de toutes les académies européennes et secrétaire perpétuel de l’Académie royale des sciences de Paris, il en donne lecture dans cette institution et la publie à nouveau.
Mais la philosophie naturelle a subi de profonds bouleversements et Dortous de Mairan sait que les théories qu’il échafaude à partir des faits de l’expérience susciteront la critique. Aussi s’en prémunit-il en rédigeant une fort intéressante préface sur l’esprit de système.
Une collaboration nous semblait indispensable pour mener à bien l’étude de l’ouvrage :
Colette Le Lay, historienne des sciences qui connaît le 18ème siècle, concentrera son attention sur la préface et le regard de Dortous de Mairan sur l’esprit de système.
Frédérique Rémy, spécialiste de glaciologie, examinera le fonds scientifique de la Dissertation, étudiera la terminologie utilisée, dressera un panorama des apports de Dortous de Mairan et les situera dans le contexte de l’époque.
 
Hugues Chabot (Université de Lyon 1) 
“La réception de la « Disseration sur la glace » dans le texte encyclopédique”
 
Lors de sa réimpression en 1749, la « Dissertation sur la glace » (dont la première édition date de 1716) est accompagnée d’une Préface lue l’année précédente en séance publique à l’Académie des sciences. Mairan s’y fait le défenseur des systèmes. Dans le Discours préliminaire de l’Encyclopédie, D’Alembert s’en prend vigoureusement à l’esprit de système. Nous pensons que c’est, en partie au moins, en réaction à ce discours de Mairan. Nous proposons dans cette communication d’explorer plus largement la réception de la « Dissertation sur la glace » dans l’Encyclopédie, en particulier dans les articles consacrés à la théorie du froid confiés par D’Alembert à de Ratte.